La nouvelle année est arrivée et avec elle la routine des matins, des soirs, des jours.
Il y a deux ans et demi, nous avons quitté Paris pour sa banlieue, pour des raisons évidentes de finances. « La banlieue » c’est vaste et ça ne veut rien dire, et il en est dont le charme et la douceur ne sont pas à contester.
Mais quand on travaille loin de chez soi, il reste à affronter la Bête : le trajet.
Longtemps j’ai travaillé loin de chez moi, et longtemps j’ai pris le RER, métro, bus, tramway sans y penser, puisqu’on n’a pas le choix, faisons donc bonne figure. Fougue de la jeunesse, joie des études, du premier boulot, et surtout « c’était temporaire ».
J’ai attendu seule et inquiète des bus de banlieue qui n’arrivaient pas sous le regard de gens occupés à casser les distributeurs de chocolats. J’ai pris des trains sur toute leur ligne avec la joie d’aller au terminus et donc n’avoir aucun stress quant à mon arrêt. J’ai attendu 40 minutes le train de 19h50 tous les soirs pendant un an, parce que « l’heure c’est l’heure » et qu’on ne laisserait pour rien au monde des impertinents courir après le train de 19h12. J’ai goûté aux délices d’habiter à 3 stations de mon travail et au plaisir de rentrer à pied. J’ai marché sur le pont de Champigny en m’arrêtant pour regarder les canards. Je m’en inquiétais peu. Tout ça, c’était temporaire.
Bref, dix ans et onze déménagements m’ont fait découvrir toutes les options, tous les trajets, toutes les stratégies pour avoir un siège dans la ligne 1 et pour éviter les ennuis dans le RERD.
Mais je sentais, sans vouloir me l’avouer, que ce monstre faisait pousser en moi un petit germe de fatigue, une petite pousse de dégoût.
Comme il était facile de clamer que « Boh, ça va, les transports c’est pas si atroce », quand on pensait enfin s’en être débarrassé ! Comme il était doux de sourire aux lignes pourries du passé, quand on pensait acquise la tranquillité d’un quartier aimé et serein ! Les souvenirs et la relativité, même combat. Ça aussi, ce fut temporaire.
Nous revoilà plongés dans les entrailles de la terre, dans les changements inter-Gares, les couloirs, les Escalators, les bousculades, les heures de pointe.
Chaque matin, un choix charmant s’ouvre à moi : dois-je passer par les souterrains de l’échangeur, qui sentent la pisse et la fosse à graisse des restos du centre commercial, où les feux sont à peine respectés par les autos et les bus ? Ou dois-je justement passer par la route « haute », par le centre commercial, au chaud et qui sent bon le pain au chocolat, mais où les lumières et la musique sont trop fortes et où je devrai ouvrir mes sacs devant un vigile ? Un détail ? Oui, une broutille. Mais bizarrement chaque matin ce choix est un peu plus pesant, plus important. Puanteur ou vigile. Agression olfactive ou bombardements de vitrines, de lumières, de musiques, d’objets que je ne pourrai jamais me payer.
Le pire c’est que je m’en fous, de me payer des robes à paillettes Zara. Mais à force chaque matin de paillettes cousues par de jeunes ouvrières dans une usine qui doit puer autant que mes souterrains, j’en viens à fantasmer d’être riche à millions, pour ne plus jamais traverser ce centre commercial, ni ces tunnels, ni à voir ces vitrines.
Ce jour viendra-t-il ? Sans doute pas.
Est-ce encore temporaire? Je n’en sais plus rien.
Peut-être est-ce ce constat larvé qui verse des gouttes de rosée sur ma petite pousse de dégoût. Peut-être se nourrit-elle des petits morceaux d’espoir qui s’effritent, à chaque déménagement, à chaque nouvelle adresse, à chaque nouvelle station de métro, de RER, de bus : serai-je un jour chez moi ?
Serai-je un jour à un endroit que j’ai choisi, où j’habiterais par envie et non par nécessité ?
Je n’ai pas envie de chanter avec Léo Ferré « Paris, je ne t’aime plus ». Et surtout, j’e n’ai pas envie d’en avoir envie.
Mais j’ai parfois peur que la petite pousse prenne de l’assurance et plante ses racines au plus profond de mes tripes.
Non, les Parisiens ne font pas « tout le temps la gueule ». Mais ils doivent entretenir une vilaine petite mauvaise herbe qui veut envahir leur jardin.
Mettons-la sous cloche et allons chasser le Pokémon, saine activité de citadin qui permet, au moins, de sourire aux souterrains qui puent ou au centre commercial qui crache sa musique sale : on s’en fout, y’a un Raid qui va commencer.
Plus le temps passe, et moins je trouve tolérable de devoir passer 1h dans les transports en commun, avec toutes les galères que ça implique, pour aller travailler… Mais voilà, le travail est bien souvent dans les grandes villes, où le loyer est souvent bien trop cher pour beaucoup. Et on se retrouve à devoir habiter loin, loin, pour pouvoir vivre. Sauf qu’à force de passer tout ce temps dans des trains en retard et des couloirs qui puent, on ne vit plus vraiment, en fait. Je rêve d’un monde où l’emploi serait partout pour éviter ça, ou, à défaut, un monde où on pourrait choisir d’habiter où on le souhaite sans se mettre de barrières parce que le coin qui nous plaît et nous arrange est « pour les riches » que nous ne serons jamais… Mais bon je rêve ^^
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